Qu’est-ce qu’un recours collectif au Québec?
Au Québec, les recours collectifs sont un mécanisme juridique essentiel pour répondre aux préjudices subis par de grands groupes de personnes, notamment dans des domaines comme la protection de l’environnement, la confidentialité des données, le droit du travail et la protection des consommateurs. Ces affaires impliquent souvent des dommages individuels faibles, rendant les poursuites individuelles peu pratiques ou impossibles. Les recours collectifs équilibrent les forces en permettant à un représentant de défendre les intérêts de milliers de personnes.
Qu’est-ce qu’un recours collectif?
Selon l’article 571 du Code de procédure civile (C.p.c.), un recours collectif est un outil procédural qui permet à une personne, membre d’un groupe plus large, de poursuivre en justice au nom de tous les autres membres, sans nécessiter leur mandat individuel. Il est particulièrement utile lorsque de nombreuses personnes sont affectées par le même problème, mais que des réclamations individuelles seraient impraticables.
Quand un recours collectif peut-il être intenté?
Avant qu’un recours collectif ne puisse aller de l’avant, il doit être autorisé par le tribunal (article 574 C.p.c.). Le juge évalue si la demande satisfait aux quatre critères légaux (article 575 C.p.c.):
- Communalité : Les réclamations des membres soulèvent des questions juridiques ou factuelles identiques, similaires ou connexes.
- Apparence de droit : Les faits allégués semblent justifier les conclusions recherchées.
- Composition du groupe : La taille et la nature du groupe rendent difficile ou impraticable l’utilisation de mandats ou la consolidation des actions individuelles.
- Représentation adéquate : Le demandeur proposé doit être en mesure de représenter adéquatement le groupe.
Si ces conditions sont remplies, le tribunal autorise le recours et désigne le représentant.
Qui peut lancer un recours collectif?
- Toute personne physique ou morale faisant partie de la classe affectée peut demander l’autorisation (article 571 C.p.c.). Le représentant n’a pas besoin d’un mandat de chaque membre (article 571 C.p.c.), mais doit être capable de représenter adéquatement les intérêts du groupe (article 575(4) C.p.c.).
- Des entités comme des associations ou des organismes sans but lucratif (même sans personnalité juridique) peuvent également agir pour le compte d’une classe, à condition qu’un représentant de ce groupe soit membre de la classe et que la question soit alignée sur l’objet de l’entité (article 571 C.p.c.).
Rôle du représentant et de l’avocat
Selon l’article 87(2) du Code de procédure civile, dans les procédures contentieuses de recours collectif, le représentant doit être représenté par un avocat. Dans les procédures non contentieuses, la représentation peut être assurée par un avocat ou un notaire.
Le rôle de l’avocat est crucial et multifacette. Souvent, les recours collectifs naissent lorsqu’un avocat identifie des préjudices similaires parmi ses clients. À partir de ce moment, l’avocat non seulement représente la classe des demandeurs, mais agit également comme conseiller stratégique et défenseur tout au long du processus judiciaire. De plus, l’avocat peut négocier un règlement avec le défendeur, cherchant un accord qui serve les intérêts de la classe.
Exemples concrets (consommation, données personnelles, environnement, etc.)
Un exemple frappant est le recours collectif récemment autorisé contre Dollarama et d’autres grands détaillants au Québec. Ces entreprises ont été accusées d’écoblanchiment (greenwashing), c’est-à-dire de faire des allégations environnementales trompeuses, en qualifiant leurs sacs plastiques réutilisables de « recyclables », alors qu’ils ne l’étaient pas dans les programmes de recyclage municipaux du Québec.
Le tribunal a jugé que le demandeur satisfaisait au critère de l’apparence de droit, présentant des allégations crédibles justifiant un procès. Il a souligné qu’un produit n’est pas recyclable simplement parce qu’il pourrait théoriquement être traité; il doit être accepté en pratique par les installations de recyclage locales. Le tribunal a également rejeté l’argument selon lequel la présentation des sacs à la caisse (par exemple, pliés ou peu visibles) excusait la fausse représentation. Il a estimé que l’utilisation du terme « recyclable » sur l’emballage suffisait à induire les consommateurs en erreur.
Ce cas reflète une tendance juridique et réglementaire plus large au Québec et au Canada. Les entreprises sont de plus en plus tenues responsables des allégations environnementales fausses ou exagérées par des mécanismes d’application privée, comme les recours collectifs. Parallèlement, les consommateurs et les organisations de défense utilisent les recours collectifs pour protéger l’intérêt public. Cette tendance est renforcée par des modifications récentes à la Loi sur la concurrence, qui offrent des outils juridiques plus solides pour contester l’écoblanchiment et les pratiques de marketing trompeuses.
Les recours collectifs au Québec ne se limitent pas au droit environnemental. Ils sont également essentiels dans des domaines comme la protection des données et des consommateurs. Par exemple, en 2019, la Cour supérieure du Québec a autorisé un recours collectif contre MGM Resorts International à la suite d’une violation massive de données. Cette action visait à obtenir des dommages compensatoires et punitifs, soulignant l’importance de la responsabilité des entreprises dans la protection des informations personnelles.
Avantages et inconvénients d’un recours collectif
Les recours collectifs sont un outil juridique puissant permettant à un groupe de personnes, souvent victimes d’un préjudice similaire, de se regrouper pour obtenir réparation par une seule action en justice. Au Québec, le régime des recours collectifs vise à promouvoir l’accès à la justice, particulièrement dans les cas où les dommages individuels sont modestes, rendant les poursuites individuelles trop coûteuses ou lourdes.
Cependant, comme tout mécanisme juridique, les recours collectifs présentent des forces et des limites. Voici une analyse des avantages et des inconvénients, notamment par rapport aux poursuites individuelles.
1.Avantages d’un recours collectif
- Force collective et protection de l’intérêt public
- Un avantage clé des recours collectifs est leur force collective. Plutôt que d’affronter un défendeur seul, les individus sont soutenus par un groupe partageant des expériences similaires, ce qui peut accroître la pression sur les défendeurs pour qu’ils règlent et évitent les dommages à leur réputation liés à un litige prolongé.
Les recours collectifs offrent également une protection dans des cas sensibles, comme les différends en matière d’emploi. Beaucoup d’employés craignent des représailles s’ils agissent seuls. Dans un recours collectif, seul le représentant est nommé, permettant aux autres de rester anonymes et de chercher justice plus en sécurité.
L’intérêt public est également protégé par un contrôle judiciaire. Selon l’article 590 C.p.c., aucun règlement, acceptation d’une offre ou acquiescement dans un recours collectif n’est valide sans l’approbation du tribunal. Ce processus exige que les membres du groupe soient informés, garantissant transparence et protection des droits collectifs.
2.Accessibilité économique
Les recours collectifs éliminent les barrières financières qui empêchent souvent les individus de chercher justice, surtout face à des entreprises ou institutions bien financées. En général, les membres ne paient pas de frais juridiques initiaux, les avocats étant rémunérés sur une base conditionnelle, recevant un paiement uniquement en cas de règlement ou de jugement favorable (article 593 C.p.c.). Ce modèle permet aux individus qui n’auraient pas les moyens de financer un litige d’exercer leurs droits sans risque financier.
3.Efficacité procédurale et participation automatique
Les recours collectifs améliorent l’efficacité judiciaire en regroupant de nombreuses réclamations similaires en une seule procédure. Cela réduit les processus juridiques répétitifs, économise les ressources judiciaires et diminue les coûts pour les demandeurs et le système juridique.
Le Québec adopte un modèle d’inclusion automatique (opt-out) pour les recours collectifs (article 580 C.p.c.). Les individus appartenant au groupe défini sont automatiquement inclus dans la procédure, sauf s’ils choisissent expressément de s’en retirer. Cette approche élimine le besoin d’inscription ou de formalités juridiques supplémentaires pour participer.
4.Responsabilisation et prévention des préjudices futurs
Au-delà de la compensation, les recours collectifs ont une fonction dissuasive et corrective. Ils contribuent à prévenir les inconduites et à promouvoir des changements systémiques en exposant les pratiques commerciales nuisibles, en obligeant les entreprises à améliorer leur conformité et en incitant à une surveillance réglementaire. Par exemple, les recours collectifs liés à l’écoblanchiment non seulement indemnisent les victimes, mais établissent également des normes juridiques et éthiques pour le comportement des entreprises. En signalant que les inconduites ont des conséquences, ils aident à prévenir des préjudices similaires à l’avenir.
Inconvénients d’un recours collectif
1.Contrôle individuel limité
Un inconvénient notable des recours collectifs est le rôle restreint des membres individuels dans le processus judiciaire. Une fois la classe autorisée et les représentants et avocats désignés, ces derniers assument le contrôle des décisions majeures. Par exemple, bien que les membres puissent demander le statut d’intervenant selon l’article 579 C.p.c., ils ne peuvent intervenir au nom des demandeurs que pour appuyer ou soutenir la demande ou les arguments du représentant. De plus, le tribunal peut limiter le droit de l’intervenant à déposer des actes de procédure ou à participer au procès (article 586 C.p.c.), des restrictions qui ne s’appliquent pas aux représentants et avocats.
Pour les membres souhaitant partager leur histoire personnelle ou présenter des arguments juridiques spécifiques, cette implication limitée peut être source de frustration.
2.Résultats contraignants et perte de recours personnel
Les membres du groupe sont liés par la décision du tribunal, sauf s’ils se sont exclus (article 591 C.p.c.). Si le recours collectif est rejeté ou aboutit à un règlement défavorable, les membres sont généralement empêchés de poursuivre une action individuelle sur le même problème. De plus, même en cas de succès, le résultat peut être inférieur à ce qu’un individu aurait pu obtenir par une poursuite personnelle, surtout si ses dommages dépassent la moyenne au sein de la classe.
3.Possibilité de compensation moindre
Étant donné que le règlement ou le jugement est réparti entre tous les membres du groupe (article 596 C.p.c.), la compensation individuelle peut être relativement modeste. Après déduction des frais juridiques et répartition des fonds restants (article 593 C.p.c.), le montant reçu par chaque membre peut être considérablement inférieur à ce qui aurait pu être obtenu par une poursuite individuelle. Pour ceux ayant subi des préjudices graves ou durables, cela peut être une raison convaincante de envisager une action individuelle plutôt que de participer au recours collectif.
Faut-il participer à un recours collectif?
La décision de participer à un recours collectif dépend de vos circonstances. Si votre réclamation est modeste et que le problème touche un grand nombre de personnes, un recours collectif peut être le moyen le plus pratique et efficace d’obtenir une compensation. Vous n’encourrez aucun coût initial, les démarches juridiques sont minimes, et vous bénéficiez du résultat en cas de succès.
Cependant, si vos dommages sont importants ou si vous souhaitez un meilleur contrôle sur la stratégie juridique et la présentation de votre dossier, vous devriez consulter un avocat pour déterminer si une réclamation individuelle serait plus adaptée à vos intérêts.
Auteur : Jingyi Wang, LLM McGill University, LLB Wuhan University